LA GRANDE FAMINE DE 1709 DANS LE BOURBONNAIS

Famine de 1709 dans le Bourbonnais

 

Ce texte a été écrit par Messieurs Michel Moreau et Georges Chatard, il est publié ici avec l'aimable autorisation de Monsieur Sébastien Joly de La Vernelle, membre de la Société d'Émulation du Bourbonnais. 

Société d' Émulation du Bourbonnais

L’hiver

Une guerre malheureuse pour la succession d’Espagne dure déjà depuis huit années, le fisc pressure les populations des campagnes par des taxes exorbitantes, les réquisitions anémient et ruinent le pays. Le terrible froid qui va sévir à l’aurore de 1709, par ses terribles conséquences, plongera notre province dans la consternation et la misère. L’arrivée du froid fut brusque et en quelques heures se généralisa à l’ensemble du territoire français. 

Par sa position au coeur du Royaume, notre Bourbonnais fut atteint par la « grande vague » de froid le même jour qu’à Paris (6 janvier) et cela après une période pluvieuse et douce. Le 10 janvier 1709, on estime la température minima à Moulins de moins 25°. 

Les calamités causées par le froid proviennent non seulement de sa rigueur subite, mais des dégels et gels successifs qui déracinèrent et tuèrent les céréales. De plus, un froid aussi intense sur une terre non recouverte de neige et saturée d’eau ne pouvait, selon l’expression consacré que « trancher » les blés non protégés.

La famine 

Voici les jours sombres. Devant les dégâts produits par l’hiver, les grains se cachent. Le peu qui est apporté sur les marchés s’arrache à prix d’or, ou plutôt à prix de famine, car le malheureux n’a pas les moyens de s’en procurer. L’égoïsme devient féroce. Non seulement la province garde son blé malgré les instructions du Pouvoir Central, mais encore les régions agricoles plus favorisées, telle la Limagne bourbonnaise, ne consentent pas à s’en dessaisir au profit de leurs proches voisins de la Sologne bourbonnaise ou des plateaux du Centre.

C’est pourquoi, en lisant les registres paroissiaux et les mémoires du temps, nous constatons infiniment plus de lamentations et de deuils dans certaines régions du Bourbonnais qu’en d’autres plus favorisées par la richesse du sol. Cependant l’hiver fut aussi rigoureux dans toutes les parties de notre province.

Mais il est très probable que certaines paroisses possédaient encore de grosses réserves de grains qui aidèrent à attendre les secours et à subsister sans trop de mal. 

Le plus lugubre spectacle s’offrit sur nos routes aux yeux des voyageurs : des milliers de mendiants, de pauvres affamés, chassés par la misère des montagnes de l’Auvergne, des régions pauvres du Limousin, et expulsés des villes, se répandirent en cohorte de plusieurs centaines dans tous les villages.

Des pillages, des meurtres, des incendies, marquèrent leur passage. Il fallut employer la force armée pour les refouler hors de notre province. Dieu sait ce qu’il en advint ! sur cette foule qui perdit de nombreux morts. 

En tout cas, l’Intendant de Sagonne en tournée dans la région de Saint-Pourçain se trouve avec son escorte en face d’une de ces bandes, forte de 800 à 1000 miséreux, et ne réussit qu’à grand peine à sauver sa vie de cette rencontre.

Les soldats d’escorte tirèrent sur cette foule qui perdit de nombreux morts. Ces malheureux, affamés, semblables à des spectres, se nourrissant d’herbes ou d’immondices innommables, moururent en grand nombre sur tous les chemins du Bourbonnais.

C’est ainsi que le chevalier de l’Aubépin, allant de Roanne à Paris par la grand’route du Bourbonnais, compte jusqu’à trente deux cadavres dans notre province. 

Deux mille mendiants ayant envahi Clermont-Ferrand, refoulés, se répandent dans notre vallée de l’Allier. Nous en trouverons mention dans une note du curé de Contigny.

Les villes, telles Moulins et Montluçon, souffrirent peu de la disette et furent approvisionnées dès le début de mars par les soins de l’Intendant de Sagonne et des municipalités. De plus, un arrêté du 17 avril 1709 ordonne que tous les pauvres incapables de gagner leur vie et réduits à la mendicité, sortent des villes à bref délai, pour se rendre dans leur pays natal sous peine de huit jours de prison et de carcan pour les hommes, avec trois mois de galère en cas de récidive.

De sorte que la population purement moulinoise fut sans doute rationnée, mais ne souffrit pas outre mesure. L’ordre fut maintenu et cette mesure empêcha peut-être la propagation de nombreuses maladies contagieuses parmi les habitants de la cité. On relève d’ailleurs dans les archives de la paroisse d’Yzeure ce document extrêmement intéressant et qui explique bien des choses : « Assemblée tenue en la présence du Conseil de Moulins : le conseil décide, pour éviter l’infection et maladies contagieuses que causeraient infailliblement le grand nombre de pauvres étranger qui sont en cette ville et qui abordent tous les jours, qu’il sera en outre établi quatre gardes qui conjointement avec ceux de l’hôpital général expulseront les dits pauvres étrangers avec quatre pauvres des plus valides de chaque quartier de cette ville qui leur presteront la main et que pour pourvoir aux frais et salaires desdits quatre gardes et des pauvres valides il sera fait une quette dans la dite ville et faux bourgs. »

On conçoit d’après cela que Moulins, fermée aux pauvres étrangers par une sorte d’état de siège, ne devait avoir dans son enceinte que sa population sédentaire habituelle. La mortalité fut cependant très grande. Notre province s’éveilla de ce terrible cauchemar. Le courage et l’espoir revinrent au paysan bourbonnais dont les qualités de labeur et d’énergie ont été de tout temps si vivaces. 

Extrait du recueil « la dernière famine » de Auguste Bramard collection curiosités bourbonnaises Imprimerie Crépin-Leblond à Moulins (1932).

Depuis l’année d’édition du livre dont est extrait cet article, il y eu d’autres hivers rigoureux (1788, 1954, 1962, ou 1984, avec – 41° relevé en Franche-Comté !..., mais heureusement pas d’autres famines, à part quelques privations pendant la Seconde guerre, mais sans commune mesure avec 1709. 

Michel Moreau et Georges Chatard

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